Feeds:
Articles
Commentaires

Archive for décembre 2020

Dans le billet de blogue du 23 novembre dernier, il était question de la réforme qu’apporte le projet de loi no 52 au processus de gestion des plaintes administratives dans le réseau de la santé. Aujourd’hui, nous nous penchons sur ce qu’il apporte à la lutte contre la maltraitance à l’égard des aînés et des personnes en situation de vulnérabilité. Situons d’abord le cadre dans lequel ce deuxième volet s’inscrit.

Signalements et politique de lutte contre la maltraitance

La société québécoise a adopté au cours des années 70 plusieurs lois à caractère social énonçant et reconnaissant des droits civils. En 2002, le Québec s’est distingué en participant à la Conférence internationale de l’ONU visant à lutter contre la maltraitance envers les aînés. Pour l’État québécois, la reconnaissance de l’autonomie des personnes âgées et la protection des personnes les plus vulnérables de notre société constituent donc une préoccupation depuis des années.

Puisque la maltraitance envers les personnes en situation de vulnérabilité est inacceptable pour l’État, le gouvernement a adopté une loi qui vise précisément à lutter contre ce phénomène, dans le respect des droits de la personne. Le 30 mai 2017, la Loi visant à lutter contre la maltraitance à l’égard des personnes aînées et des personnes vulnérables [1] est entrée en vigueur. Depuis, deux plans d’action ont été adoptés dans le cadre de la politique de lutte contre la maltraitance.

Application de la loi visant à lutter contre la maltraitance

La loi énonce des moyens à mettre en place pour lutter contre la maltraitance. Elle édicte des mesures pour faciliter la dénonciation de situations de maltraitance. Elle décrète la mise en œuvre d’une entente-cadre nationale pour atteindre son objectif. Elle permet au gouvernement de réglementer certaines mesures de surveillance.

La loi a pour objet de protéger les aînés et les personnes majeures en situation de vulnérabilité dans le réseau de la santé [2]. Elle vise donc d’abord et avant tout les établissements de santé et de services sociaux, particulièrement les ressources intermédiaires (RI) et les ressources de type familial (RTF), de même que les organisations, les sociétés et les personnes auxquelles ces établissements ont recours.

Responsabilités des établissements de santé

Les établissements ont pour responsabilité :

  1. d’adopter une politique de lutte contre la maltraitance applicable à l’établissement et d’en assurer le respect;
  2. de déployer des ressources nécessaires pour lutter contre la maltraitance et l’enrayer;
  3. de faire connaître la politique qui a été adoptée, son contenu, les mesures de prévention mises en place et la possibilité de signaler un cas de maltraitance;
  4. d’en informer les « personnes œuvrant pour l’établissement », soit les médecins, dentistes, sages-femmes, membres du personnel, résidents en médecine, stagiaires, bénévoles et toute autre personne physique qui fournit directement des services pour le compte de l’établissement.

Un centre intégré de services de santé et de services sociaux (CISSS) doit aussi faire connaître sa politique aux intervenants du réseau de la santé qui agissent dans le territoire qu’il dessert.

Politique de lutte contre la maltraitance

Les établissements de santé avaient jusqu’au 30 novembre 2018 pour adopter une politique de lutte contre la maltraitance. Celle-ci doit être révisée tous les cinq ans. La politique s’applique, que les services soient rendus dans une installation (hôpital, CHSLD, etc.) ou à domicile. Les établissements doivent afficher leur politique à la vue du public et la publier sur leur site Internet. Ils doivent la faire connaître à leurs usagers et aux membres significatifs de leur famille.

Il revient au commissaire local aux plaintes et à la qualité des services de recevoir les plaintes et les signalements relatifs à des situations de maltraitance [3]. Un signalement peut être fait verbalement ou par écrit. Le commissaire local aux plaintes doit les traiter de manière confidentielle. Il doit également présenter à l’établissement un bilan annuel des plaintes et signalements reçus.

La politique de lutte contre la maltraitance doit être appliquée par toute RI ou RTF qui accueille des usagers majeurs, ainsi que par tout exploitant d’une résidence privée pour aînés.

Le projet de loi no 52 élargit l’application de la loi aux établissements privés en ce que la formulation d’une plainte ou le signalement concernant un cas de maltraitance dans un établissement privé s’effectue auprès du commissaire local aux plaintes et à la qualité des services du CISSS qui a compétence pour la recevoir et la traiter.

Vers un avenir meilleur?

L’entrée en vigueur du projet de loi no 52 ouvre la voie vers le dépôt de plaintes auprès des commissaires locaux pour une clientèle nombreuse d’aînés et de personnes en situation de vulnérabilité vivant dans des établissements privés. Elle pourrait créer un mouvement vers une amélioration de la vigilance de ces milieux de vie et une dénonciation de situations inacceptables s’apparentant à de la maltraitance. Pour que l’élargissement de la portée de la loi aux établissements privés porte fruit, il incombe aux commissaires locaux aux plaintes et signalements d’accorder l’importance et l’attention requise à chaque plainte et à chaque signalement reçu.

Un protecteur des aînés, indépendant des commissaires qui reçoivent les plaintes des usagers, serait-il mieux placé pour protéger les personnes les plus vulnérables ? Un protecteur des aînés ayant pour mandat de s’attarder au seul secteur des soins et services rendrait-il mieux service à la population vieillissante ? Faut-il se doter d’une autre structure, parallèle au Protecteur du citoyen pour protéger une partie grandissante de la population ? À quand une politique globale sur le bien vieillir ?

Une partie de la réponse se trouve dans le projet de loi no 18, adopté en juin 2020. Il prévoit une réforme complète de la représentation légale des personnes. Il propose une révision approfondie des régimes de protection et l’octroi du pouvoir de désigner à l’avance une personne habilitée à représenter une personne en situation de vulnérabilité, sous réserve d’approbation.

Nous verrons en 2021 en quoi consiste cette réforme dont la réalisation est prévue pour 2022… D’ici là, portez-vous bien, veillez sur les proches aidants, les personnes aînées et les personnes en situation de vulnérabilité de votre entourage, et bonne saison des Fêtes où que vous soyez!


[1] Après consultation en commission parlementaire suite au dépôt de 112 mémoires : https://www.quebec.ca/famille-et-soutien-aux-personnes/aide-et-soutien/maltraitance-aines/loi-visant-a-lutter-contre-la-maltraitance-envers-les-aines-et-toute-autre-personne-majeure-en-situation-de-vulnerabilite/

[2] Les situations de maltraitance envers les aînés ou une personne majeure en situation de vulnérabilité en dehors du réseau de la santé peuvent toujours être signalées à la police, à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, ou encore au Curateur public du Québec.

[3] Le commissaire local aux plaintes et à la qualité des services a pour mandat de recevoir et d’examiner les plaintes des usagers des services. Il répond à ces plaintes ce qui permet de revoir les pratiques et les politiques dans le but d’améliorer la qualité des services. Le commissaire peut recevoir une plainte verbale ou écrite.


Read Full Post »

C’était il y a quatre ans. Simone était hospitalisée au CHUM depuis 200 jours. Le centre hospitalier universitaire voulait obtenir une autorisation de la cour pour son hébergement, ce à quoi s’opposait fermement Simone.

Faits à l’origine

Simone vit seule dans son appartement. Elle reconnaît qu’elle ne peut plus tout faire et s’organise pour avoir des services à domicile. Un homme de ménage et de confiance vient toutes les deux semaines. Simone fournit une automobile et une carte de débit à sa cousine qui fait ses courses. Son banquier reçoit ses instructions par téléphone.

Elle s’entretient aussi tous les jours avec Jean-Charles, un ami qu’elle connaît depuis 70 ans.

Simone doit recevoir tous les jours une soignante du CLSC pour le changement d’un sac de stomie, installé depuis 10 ans. Quand elle a un besoin urgent de santé, elle compose le 811 pour des services qui ne viennent pas toujours bien qu’ils soient essentiels. Mais, ce qui préoccupe le plus dans la situation de Simone, ce sont ses chutes répétitives à la maison. Des accidents la forcent à appeler le 911, à la suite desquels elle est transportée à l’hôpital.

Après trois hospitalisations pour cause de chutes au cours de la même année, le centre hospitalier entreprend des évaluations qui concluent à des atteintes cognitives et un début de démence, puis demande à la cour à ce que Simone soit transférée dans un centre d’hébergement, lieu de résidence qu’il juge plus sécuritaire. C’est dans ce contexte que Simone reçoit la demande judiciaire et décide de prendre une avocate pour se défendre et faire valoir ses droits.

Audition devant la Cour supérieure

L’audience commence un après-midi. Le centre hospitalier dépose cinq rapports d’évaluation qui concluent que Simone a perdu ses capacités cognitives au point de ne pas comprendre que l’avenue de l’hébergement constituerait pour elle le meilleur et le seul choix sécuritaire. Il fait entendre trois témoins. Des contradictions émergent des rapports médicaux et des témoignages des professionnels, notamment auprès du neurologue qui conclut à un léger déclin cognitif, à une inaptitude partielle à administrer ses biens et à une autocritique faible plutôt qu’une absence d’autocritique. Puis la travailleuse sociale du centre doit admettre qu’elle ne connaît pas le domicile de Simone et très peu l’entourage qui l’assiste au quotidien.

Après les contre-interrogatoires des professionnels, l’audience reprend deux jours plus tard. Simone doit revenir à la Cour. Son ami Jean-Charles aussi. Transport, organisation, température froide : nous sommes en décembre et les témoignages se faisaient alors à la cour plutôt qu’à distance.

Le centre hospitalier continue d’étaler sa preuve et ce n’est qu’en fin d’après-midi que Simone entame son témoignage.

Frêle et fragilisée par une longue hospitalisation, privée de sa liberté et de son environnement normal, confrontée à l’opposition en bloc des professionnels évaluateurs — neurologue, neuropsychologue, ergothérapeute, physiothérapeute, travailleuse sociale — Simone explique comment on a procédé à l’évaluation de ses capacités cognitives pendant son hospitalisation, comment elle s’organise à domicile, ce qu’elle comprend de la demande devant le tribunal et pourquoi elle refuse l’hébergement.

Pour être crédible, son témoignage doit être livré sans l’influence de quiconque, sans questions suggestives, sans trop de répétitions et sans contradictions. Il faut lever la voix quand on lui parle, car son appareil auditif fonctionne mal. Elle se tient debout devant la cour, élégante dans des vêtements qui dégagent son bon goût.

Simone a une assez bonne mémoire. Elle relate les circonstances de son dernier accident à domicile, ses efforts pour appeler le 911, alors qu’elle se retrouve au sol, seule dans son appartement, et la raison pour laquelle elle accepte d’aller à l’hôpital.

Elle précise l’organisation de son lieu de vie : sept pièces meublées, avec du tapis, trois cannes et une marchette pour usage au besoin, des téléphones dans chaque pièce pour appeler en cas d’urgence, une cuisine sécuritaire incluant un tabouret pour atteindre les tablettes plus hautes, un collier Alerte pour aviser un système extérieur qu’elle a besoin d’aide, qu’elle ne porte pas question d’inconfort. Les photographies de son domicile inspirent le confort, l’organisation et la sécurité. 

Simone ne reconnaît pas les diagnostics qui ont été posés. Elle refuse d’admettre qu’elle s’est blessée en raison d’une chute. Son déni ne vise qu’à se défendre dans le contexte de la demande d’hébergement. Elle se sent harcelée par la travailleuse sociale du centre hospitalier en qui elle n’a plus confiance et elle refuse d’entendre le mot hébergement.

« Son témoignage est précis, franc, nuancé et sans détour. Pour elle, être hébergée ailleurs signifierait la déportation et la renonciation de son chez-soi et de tous les souvenirs qui l’habitent; elle désire s’éteindre à cet endroit. »

Elle explique pourquoi elle veut retourner chez elle : elle ne veut pas finir sa vie dans un mouroir. Le juge écoute attentivement, scrute ses expressions, lui pose quelques questions, use de patience. Il conclut qu’elle comprend sa situation.

Du témoignage de Jean-Charles se dégage son respect envers Simone, une confiance mutuelle de longue date malgré des points de vue différents et les obstinations de Simone. Il l’accompagne dans sa démarche devant le tribunal. Pour lui, Simone comprend très bien la demande du centre hospitalier. Il explique en quoi elle pourrait retourner vivre de manière sécuritaire chez elle.

Après les contre-interrogatoires de Simone et de Jean-Charles par le centre hospitalier, ce dernier propose une négociation hors cour. Simone refuse, car cette négociation inclut la possibilité d’un hébergement en cas d’échec suite à son retour à domicile. Le tribunal suspend alors l’audience et rédige son jugement qu’il livrera verbalement. Le jugement est rendu le vendredi 16 décembre 2016 à 20 h 30. C’est aussi le jour d’anniversaire de Simone qui a 96 ans.

Jugement

Les témoignages de Simone et de son ami Jean-Charles réduiront à néant les prétentions du centre hospitalier universitaire voulant qu’elle ne comprenne pas la demande devant le tribunal et qu’elle soit inapte à prendre ses propres décisions et à administrer ses biens.

Le tribunal conclut que Simone comprend l’objectif de l’orienter vers l’hébergement pour des motifs de sécurité. Il note qu’elle paie ses comptes, est entourée de personnes, cuisine occasionnellement, utilise sa canne et aussi ses meubles comme appui. Il ne peut voir une inaptitude justifiant un hébergement. Il privilégie la réalité du vécu de Simone qui montre une organisation certaine à des simulations hors contexte du milieu de vie naturel — allusion faite selon laquelle Simone n’avait pas réussi à cuire un œuf au plat lors d’une évaluation à l’hôpital —, d’où on tire des conclusions sévères et préjudiciables à l’endroit de Simone afin d’assurer, avant tout, sa sécurité. Le juge écrit :

[36] Il est vrai que la plupart de ses facultés sont diminuées, mais ceci n’en fait pas une personne inapte. Le processus de vieillissement de la personne avec tout ce qu’il comporte en termes d’amoindrissement de capacité ne rend pas en soi une personne inapte. »

[38] Il se peut fort bien que son maintien à domicile puisse abréger sa vie. C’est le choix qu’elle exprime de vivre dans un environnement qu’elle connaît que de tenter d’en apprivoiser un autre pouvant optimiser sa longévité de vie mais l’arrachant à son environnement qui lui est cher.

[39] La question n’est pas de déterminer ce qui est le mieux pour la défenderesse selon le regard de professionnels mais plutôt de respecter la conduite de sa vie selon son propre regard. »

Enseignements tirés de l’histoire de Simone

L’histoire de Simone permet de souligner les difficultés fréquemment rencontrées lors de ces demandes à la cour et de dégager des constats :

  • la défense de ses libertés fondamentales constitue un défi;
  • l’isolement d’une personne âgée n’équivaut pas inévitablement à une situation à risque;
  • la position des soignants, malgré leurs meilleures intentions et leur poids, n’est pas toujours partagée par le tribunal;
  • la personne visée par une demande d’hébergement a de meilleures chances de succès si elle est accompagnée et assistée dans son quotidien et devant la cour;
  • la détermination de l’inaptitude d’une personne ne relève pas exclusivement des soignants;
  • les rapports des professionnels éclairent, mais il leur revient de convaincre le tribunal;
  • le tribunal décide de l’inaptitude d’une personne avant de la contraindre à un centre d’hébergement;
  • le tribunal a le devoir de donner l’occasion à la personne de s’exprimer et d’être entendue;
  • la compréhension qu’a la personne de son bien-être et de son intérêt a beaucoup de poids dans la décision du tribunal;
  • le tribunal rend une décision qui est dans l’intérêt supérieur de la personne.

Au-delà de ces constats, il faut se questionner sur les motivations à imposer l’hébergement à une personne âgée qui le refuse, sachant que celle-ci démontre une organisation et un accompagnement dans un contexte de perte d’autonomie.

D’une certaine façon, l’histoire de Simone révèle la ténacité du paternalisme médical persistant. Des histoires comme celle de Simone se répètent, même en décembre 2020, même en temps de pandémie. C’est comme si le réseau, surchargé, fragilisé, aux prises avec des cas de contamination dans ses centres hospitaliers, s’acharne à avoir raison alors que les situations de fait révèlent une organisation permettant d’assurer la sécurité du logement, la collaboration de la personne et la participation de son entourage lors d’un retour à domicile.

Se pourrait-il que les soignants peinent à reconnaître l’importance du rôle des proches aidants, de leurs connaissances et de leurs disponibilités pour pallier les pertes cognitives et les inaptitudes partielles dans le but avoué d’offrir un lieu de résidence raisonnable à une personne âgée et bien-aimée? Souhaitons que la réforme législative de l’automne conduise à de la formation et à un changement de mentalités.

Read Full Post »